Jeudi 4 juin 2015
9h15 Ouverture du colloque
9h30
Pierre MICHARD
Le travail thérapeutique autour de la parentificationet des loyautés
Lien le plus permanent et durable entre des parents aux rapports éphémères, l’enfant de la famille contemporaine, souvent recomposée, oblige les praticiens de l’enfance à inaugurer de nouvelles perspectives cliniques. La parentification en est un exemple. Mise en avant par Boszormenyi-Nagy, elle est la découverte de la figure de l’enfant capable de gestes, de soucis, d’intentions envers ses proches. Un enfant plein de sollicitude, au point de céder sur ses intérêts et désirs pour donner priorité à un autre. Le professionnel se devra, dès lors, d’être attentif à ne pas l’abandonner dans ce choix en l’accompagnant dans l’aide qu’il apporte à ses parents fragiles. Une vigilance supplémentaire s’imposera aussi : ne pas disqualifier l’ascendant qui a besoin du soutien de la jeune génération. La reconnaissance de l’histoire des engagements et le crédit accordé aux contributions des plus jeunes font ressource humaine et levier thérapeutique. Plus âpres sont cependant les conflits et clivages de loyauté. L’enfant est écartelé entre les rêves, les projets, les demandes d’adultes qui le concernent et le piègent : ils divergent et rendent tout choix douloureux ou impossible. A quel adulte ou parent pourra-t-il s’identifier, à qui donnera-t-il l’occasion de donner, du quel pourra-t-il recevoir et donner à son tour, qui pourra-t-il soutenir sans mettre à mal un autre partenaire de son contexte de vie ? Dans ces configurations, l’enfant est saisi dans des dilemmes de priorité d’égards. Chaque adulte est «bon», mais l’est isolément contre un autre. Le travail thérapeutique inspiré de Boszormenyi-Nagy visera alors à considérer le noyau de méfiance dans lequel se débat l’enfant et ses tentatives tragiques pour concilier l’impossible sans trahir. Différentes modalités d’interventions seront susceptibles d’ouvrir le dialogue au sein de la famille autour de ces conflits qui courent dans les générations et les institutions de l’enfance.
Pierre MICHARD est philosophe de formation et docteur en psychologie clinique. Après avoir suivi un cursus psychanalytique, il a rencontré Ivan Boszormenyi-Nagy, fondateur de la thérapie familiale contextuelle, dont il a suivi les enseignements durant une dizaine d’années. Sa carrière professionnelle s’est déroulée dans diverses institutions relatives à l’enfance : consultations, hôpitaux de jour pour enfants et adolescents. Cofondateur des associations parisiennes Processus et Fractale, formateur à l’école des paroles des éducateurs d’Île-de-France, il se consacre actuellement à la transmission de la thérapie contextuelle et intervient sur le thème de la parentalité. Il a publié divers ouvrages dont : « La thérapie contextuelle de Boszormenyi-Nagy ; une nouvelle figure de l’enfant dans le champ de la thérapie familiale » publié aux éditions De Boeck à Bruxelles et, en collaboration avec Guenièvre Shams Ajili, « L’approche contextuelle » aux Editions Morisset.
11h30
Salvatore D'AMORE
Pertes et conflits de loyauté dans les nouvelles familles
Les pertes et les conflits de loyauté sont souvent au cœur des transitions complexes comme les séparations, les divorces et les recompositions. Par exemple, le processus de recomposition peut se bloquer si l’enfant comme la nouvelle famille (beaux-parents et belle-fratrie inclus) n’arrivent pas à gérer les vécus de perte ainsi que les conflits d’appartenance. Qui appartient et/ou qui n’appartient pas à la famille ? Comment gérer les vécus de pertes que les enfants et les parents vivent ? Comment être loyal avec les parents, beaux-parents, belles-fratries sans être déloyal avec les autres ? Comment décliner la multiplicité des relations triadiques et augmenter le sentiment d’appartenance et la capacité d’inclusion de tous ? La pertinence de ces défis ainsi que les possibles pistes d’intervention et de prise en charge seront illustrées à travers différentes vignettes cliniques.
Salvatore D’AMORE est docteur en psychologie, enseignant-chercheur à l ‘Université de Liège, psychologue et psychothérapeute de couple et de famille. Ses recherches et travaux thérapeutiques portent sur les processus relationnels comme la transition à la parentalité, la co-parentalité, la gestion des séparations et des recompositions au sein des nouvelles familles. Il forme à la thérapie de couple et familiale en Belgique et à l’étranger. Il est auteur de plusieurs publications ainsi que directeur de l’ouvrage « Les nouvelles familles » paru chez De Boeck en 2010.
12h45 Pause midi (libre)
Catherine SELLENET
Grandir entre deux familles : le point de vue des enfants en Protection de l’enfance
Grandir dans une famille d’accueil voire entre deux familles (la famille d’accueil/les parents), telle est la situation des enfants accueillis en Protection de l’enfance. Confrontés à deux modèles familiaux différents, voire plus si l’un des parents vit en famille recomposée, ces enfants doivent naviguer d’un lieu à l’autre, d’un port d’attaches à l’autre. Comment s’y prennent-ils pour ne pas perdre le cap, pour ne pas rester dans un « entre-deux » préjudiciable à leur développement ? Comment peuvent-ils s’attacher aux uns et aux autres, répondre aux attentes multiples, aux demandes parfois pressantes que chaque adulte dirige sur eux ? Entre le « nous familial » qu’il faut quitter, et cette autre famille dans laquelle il va falloir s’intégrer, qui choisir ? Et faut-il choisir ? Ces questions, les experts de l’enfance se les posent et y répondent en inventant des concepts comme celui de « conflit de loyauté », de « résilience »… Mais les enfants, que disent-ils de ce quotidien, des liens d’attachement noués et dénoués ? C’est pour mieux comprendre leurs émotions mais aussi interroger plus généralement ce qui « fait famille », que Catherine Sellenet a mené une recherche visant à recueillir le point de vue des enfants. A l’occasion d’entretiens auprès de jeunes accueillis et accueillants (enfants de la famille d’accueil), elle s’est employée à comprendre le sens que revêt pour eux le mot de « famille » et interroger les appartenances. La communication présentée fera donc entendre la voix de ceux qui prennent si peu la parole ou sont peu entendus.
Catherine SELLENET est psychologue clinicienne, docteur en sociologie et professeure des universités en sciences de l’éducation. Chercheure au CREN (Université de Nantes), elle centre ses travaux sur la famille et les interventions en direction de la famille. Elle a publié, entre autres, aux Editions Belin, « Loin des yeux, loin du cœur ? Maintenir les liens parents-enfants dans la séparation ».
15h30 Pause
15h45
Marika MOISSEEFF
Loyautés visibles et invisibles en situation d’interculturalité :
une perspective systémique sur les adolescents aborigènes en Australie
Après avoir présenté brièvement l’histoire des relations entre Aborigènes et non Aborigènes en Australie, Marika Moisseeff s’efforcera de documenter la spécificité des conflits de loyauté auxquels sont confrontés les jeunes Aborigènes dans un tel contexte « racialisé ». Elle s’attachera également à montrer en quoi l’adolescence est une période particulièrement sensible en regard de l’émergence des conflits de loyauté. En effet, l’individu doit alors accéder à une certaine forme d’autonomie vis-à-vis de sa famille d’origine. Cependant, lorsque cette famille appartient à une communauté discriminée par le reste de la société, s’en éloigner apparaît comme une véritable trahison.
Marika MOISSEEFF est psychiatre pour enfants et adultes et ethnologue. Chercheur au CNRS rattaché au Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France, elle est également formateur et superviseur en thérapie systémique. Ses recherches portent sur les phénomènes participant à la constitution des identités personnelles et collectives. Elles se fondent sur un travail de terrain au long cours dans une communauté aborigène du Sud de l’Australie, depuis 1992, et sur une étude culturelle comparative des représentations du sexe et de la reproduction.
Vendredi 5 juin 2015
Jean-Paul MUGNIER
L’enfant : un trait d’union intergénérationnel ?
En France, les dernières lois concernant la protection de l’enfance insistent sur la nécessité de tout mettre en œuvre pour favoriser la collaboration des parents et la mise à jour des ressources présentes au sein de la famille, évolution présente en Belgique depuis longtemps. Dans cette perspective, les grands-parents semblent des interlocuteurs privilégiés lorsque les parents sont défaillants ou susceptibles de compromettre gravement l’évolution de leurs enfants. Le danger serait dès lors de tomber dans une pensée dogmatique faisant d’eux ou des partenaires toujours dignes de confiance ou, au contraire, les premiers et uniques responsables des défaillances de leurs enfants. Comment éviter le piège du « ou bien, ou bien » pour, dans chaque situation, prendre en compte avant tout les besoins de l’enfant avant ceux des adultes, parents et grands-parents, mais aussi ceux d’une société confrontée à une crise telle qu’elle pourrait en venir à sacrifier les besoins de ses citoyens les plus vulnérables ? Comment éviter à l’enfant d’être celui qui devrait combler les besoins affectifs non satisfaits de ses parents auprès de leurs propres parents ou, au contraire devenir l’instrument de la vengeance d’une génération contre l’autre, au sein d’une lutte dans laquelle il ne serait rien d’autre qu’un bien que chacun cherche à s’approprier?
Jean-Paul MUGNIER est éducateur spécialisé, thérapeute familial, directeur de l’Institut d’études Systémiques (IDES), auteur de différents ouvrages dont « Les stratégies de l’indifférence » (Paris, Éditions Fabert, 2002), « La promesse des enfants meurtris » (Paris, Éditions Fabert, 2005), « Le silence des enfants » (Paris, Éditions L’Harmattan, 1999).
10h45 Pause - café
11h15
Frédérique VAN LEUVEN
La loyauté à l’épreuve de la maladie : de la confusion à la complexité
La thématique de la loyauté est particulièrement aiguë dans les familles où l’un des parents souffre d’une maladie mentale. Le parent malade est parfois déchiré entre la nécessité de prendre soin de lui le risque que représente « un abandon de poste ». Il est souvent très conscient des répercussions de sa maladie sur sa manière d’exercer son rôle parental. L’enfant est particulièrement sensible à la thématique de l’injustice et parfois mal pris entre ce parent dont il comprend la fragilité et la loyauté à ceux qui prennent le relais. Enfin, les intervenants des différents secteurs sont mis au défi de penser la complexité de ces situations et de travailler les conflits qui ne manquent de surgir. A partir de témoignages d’enfants, de parents et d’intervenants, nous tenterons d’éclairer les différents enjeux que cette question révèle : entre santé et maladie, attachement et conflit de loyauté, d’une logique exclusive (le « ou ») à une logique inclusive (le « et »).
Frédérique VAN LEUVEN est psychiatre et travaille au Centre Psychiatrique Saint Bernard, à Manage. Elle est par ailleurs formatrice en thérapie familiale systémique et propose des modules de formation et des séminaires sur les pathologies du lien à l’Université de Louvain.
12h15 Pause - midi (libre)
13h45
Amaury DE TERWANGNE
« Quoique tu dises, ce n’est pas toi qui parles » :
la loyauté de l’enfant dans le processus judiciaire
Bien souvent la « loyauté » de l’enfant est mise en avant pour justifier ou invalider sa parole lorsque sa situation est portée devant une instance judiciaire ou devant les services de l’aide à la jeunesse. Merveilleuse illusion des adultes qui ne s’imaginent pas un instant être pris dans leurs « loyautés ». Le petit d’homme devrait donc être protégé (la plupart du temps en ne lui reconnaissant pas le droit de parler, les initiés savent pour lui). Mais protégé de quoi ? Des conflits qu’il vit au quotidien, des influences qui se présentent à lui, de son âge, du mauvais usage que ses parents pourraient faire de sa parole ? Permettre à l’infans (le sans voix) d’apprendre à s’exprimer puis respecter cette parole ne relève-t-il pas de notre responsabilité d’adulte ? Cette responsabilité n’est-elle pas le socle de la responsabilité en devenir de l’enfant ? En tant qu’avocat de l’enfant, Amaury de Terwangne s’efforcera d’aborder toutes ces questions, laissant sans doute plus de points d’interrogation que de réponses.
Amaury de Terwangne est avocat au barreau de Bruxelles depuis 20 ans. Spécialisé en droit de la jeunesse, il pratique son métier d’avocat auprès des mineurs en danger ou ayant commis un fait qualifié infraction depuis de nombreuses années devant différents tribunaux de la jeunesse francophones. Il accompagne aussi de nombreux parents qui souhaitent trouver une solution négociée ou judiciaire privilégiant l’intérêt de leur enfant. Il est médiateur familial agréé, professeur (CAPA de Bruxelles) et formateur d’équipes psychosociales. Il est aussi l’auteur de différents livres juridiques abordant cette matière et de nombreux articles.
Olivier RALET
Accompagner les conflits de loyauté culturels des ados migrants ou issus de la migration en circulant ensemble entre le noyau de là-bas et l’écorce d’ici
L’âme (ou psyché) des humains d’aujourd’hui partage avec les villes européennes d’avoir un centre ancien et une périphérie récente. Le « noyau psychique » est constitué dans la petite enfance par la transmission des « fondamentaux ». « L’ écorce », elle, se forme plus tard, à l’âge d’aller à l’école ; elle suit une autre logique, se voulant moderne, et respire l’air du temps. Le noyau se transforme lentement, à la vitesse où les langues évoluent, alors que l’écorce change vite, à l’allure des technologies. Le noyau est transmis sur de nombreuses générations, au pays ou en exil. Les enfants et ados « d’origine immigrée », qu’ils soient de première, seconde, troisième ou ixième génération ont donc un noyau venu du pays, mais leur écorce se forme sur le mode d’ici. Ils sont donc nécessairement en « tension de loyauté » entre la culture traditionnelle d’origine de leur noyau et la culture occidentale moderne de leur écorce, entre leurs parents et leurs professeurs... Cette tension peut se crisper en conflits, replis ou ruptures, mais elle peut aussi provoquer une crise, occasion de changement où les mondes seront ré-agencés de façon réussie. Accompagner un réagencement des mondes en sorte qu’il soit le plus réussi possible, voilà donc la belle tâche qu’un intervenant peut accomplir auprès de jeunes qui balancent entre la mise en mouvement et la paralysie des appartenances multiples.
Olivier Ralet est philosophe (ULB), certifié en sciences religieuses « Islam » (UCL) et membre du Cismoc, ethno-thérapeute, formateur d’adultes à l’interculturalité, auteur de nombreux articles notamment sur les rituels d’apaisement des troubles attribués à la possession au Maroc. Il est membre fondateur et président de l’ASBL Agenc’MondeS.
16h00
Valérie ROSOUX
Après guerre : choisir ou fuir son camp ?
Dans les zones post conflit, l’identité ne se choisit guère. Figée et endeuillée, elle s’impose. Rassemblant et structurant les uns, elle dénonce et bannit les autres. Le jeu devient binaire. Souvenirs et projets, visages et paysages, tout se départage. En blanc et noir. In et out. Dans ce scénario, point de place pour l’hésitant. Sommé de choisir son camp, il est réquisitionné. Vieillard, bébé, femme ou ancien combattant. Tous tentent de dire l’absent disparu, l’ennemi abattu, le corps dissolu. Il convient pourtant de s’interroger. Passés les premiers décors, le gris surgit. Les appartenances s’effritent. Une question crépite : comment enterrer les morts pour faire une place aux vivants ? L’exposé se propose de décrire la scène post conflit sous les traits d’une pièce de théâtre habitée par divers types d’acteurs, depuis les responsables officiels, locaux ou étrangers, jusqu’aux praticiens et chercheurs souvent qualifiés de peace builders, en passant par les bourreaux, les victimes et ceux d’entre eux qui furent les deux à la fois. Le but est d’observer leurs choix, leurs mots, leurs malentendus, leurs violences aussi. L’hypothèse centrale de l’exposé est que la plupart des histoires d’après-guerre demeurent inachevées. Et qu’une façon de les terminer passe peut-être par un détour qui ne redoute point les zones non clairement identifiées. A l’écoute de l’enfant des Boches - aimés ou haïs -, de l’enfant du viol en Bosnie ou à Kigali, de celui qui n’est ni hutu, ni tutsi, du juste qui trahit son camp pour protéger l’ennemi. Ces voix désenclavées, rarement repérées, esquissent un chemin de traverse : chercher, dans les débris du passé, ce qui fut non pas perdu mais promis.
Valérie ROSOUX est chercheuse qualifiée du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS). Licenciée en philosophie et docteur en sciences politiques, elle enseigne la négociation internationale à l’UCL. Elle est membre du Centre d’études des crises et des conflits internationaux (CECRI). Les questions qu’elle étudie à l’échelle internationale ont des échos étonnamment familiers pour tous les professionnels de la relation d’aide qui accompagnent des personnes blessées par la violence des rapports humains.