09h00 10h00 (Conférences au choix)
ALFREDO CANEVARO
La reconnaissance est la mémoire du coeur
En tant qu'être humain adulte, nous nous débattons sans cesse sur un axe qui oscille entre deux grands besoins. D'un côté, le besoin d'appartenance à un système familial qui nous a donné la vie, notre nom et avec lequel nous avons accumulé des milliers d'interactions. De l'autre, le besoin de différenciation, une poussée spontanée qui nous porte à explorer le monde et à dessiner un projet existentiel autonome pour nous insérer de façon créative dans la culture environnante. C'est dans cet axe plus ou moins tourmenté, plus ou moins facilité par les familles d'origine et par la société dans laquelle nous vivons, que s'inscrivent les dysfonctions les plus fréquentes qui amènent un client en thérapie. Convoquer systématiquement en séance les membres significatifs de la famille peut grandement faciliter ce processus de différentiation. Inviter les familles d'origine, demander leur aide, éclairer les malentendus et favoriser si possible une rencontre émotionnelle intense qui aide à la différenciation peut être la façon la plus rapide d'aider un individu à dessiner un projet existentiel, une insertion créative dans la société et non contre une famille ressentie comme hostile et non collaborative. Nous aurons toujours besoin d'être en relation avec nos parents, nos frères et nos soeurs, jusqu'au dernier jour de leur vie et de la nôtre, tout en devant nous adapter à chaque moment du cycle vital de la famille et des individus qui la composent. Haïr un parent avec lequel on n'a pas pu expliciter notre relation nous conduira à haïr une partie de nous-mêmes ou pire encore à haïr le monde (qui nous semblera plein d'ennemis), nos partenaires ou nos enfants, dans une tentative illusoire de nous éloigner de cette souffrance. Tant que les parents sont en vie et quel que soit leur âge, une rencontre thérapeutique pouvant aborder les noeuds non résolus et éventuellement les dénouer, peut changer une vie. Face à des situations restées pendant des années sans solution, une explication adéquate et la demande de pardon d'un parent âgé reconnaissant ses torts peuvent changer entièrement les vécus du patient.
Psychiatre et psychothérapeute, Alfredo CANEVARO est engagé dans des activités de clinique, d'enseignement et de supervision. De formation psychanalytique, il a évolué vers une pensée systémique complexe. Il collabore depuis 1999 avec l'école Mara Selvini Palazzoli à Milan en tant que professeur et chercheur clinicien. Il vient de publier avec Alain Ackermans, aux Editions Erès, "La naissance d'un thérapeute familial".
ou
RÉBECCA SHANKLAND
La gratitude : un bonheur partagé
La gratitude est une émotion éprouvée lorsque l'on se perçoit comme étant bénéficiaire d'un bienfait procuré intentionnellement par autrui (une aide, un don…) ou d'un bienfait généré par l'existence (une rencontre, une découverte, un paysage…). Les personnes qui éprouvent de la gratitude repèrent davantage les événements positifs de la vie et les retiennent plus que les personnes moins reconnaissantes. Elles ont ainsi une représentation plus positive de leur environnement social et de leurs conditions de vie. La gratitude réduit la tendance au matérialisme et à la comparaison sociale et augmente l'empathie, ce qui génère des relations de meilleure qualité, améliorant ainsi le bien-être de la personne et de son entourage. Les recherches ont ainsi montré de nombreux effets positifs sur la santé mentale des individus tels que la réduction de l'anxiété, de la dépression et même du suicide. Ces travaux s'inscrivent dans le champ de la psychologie positive qui est l'étude scientifique des dimensions individuelles, relationnelles et institutionnelles favorisant l'épanouissement des individus et des groupes. La psychologie positive vise à comprendre comment l'expérience du bonheur survient chez les personnes, et sous quelles conditions elle se maintient. La gratitude apparaît comme une dimension intimement reliée au sentiment de bonheur des individus, à la satisfaction de leur vie et à leur engagement pro-social. Une personne qui éprouve fréquemment de la gratitude, pour un grand nombre de petites choses du quotidien est considérée comme ayant un trait de personnalité appelé "orientation reconnaissante". Cette attitude par rapport à autrui et à l'existence peut s'apprendre tout au long de la vie. Il existe des pratiques qui visent à augmenter le sentiment de gratitude envers les autres et envers ce qui nous entoure. De récentes études mises en oeuvre dans le contexte scolaire français montrent que ces pratiques peuvent être développées à l'école et ont des effets bénéfiques sur la santé physique, mentale et sociale des individus. Dans le domaine de l'accompagnement, les travaux portant sur les émotions positives ont mis en évidence de meilleures capacités du professionnel à identifier les difficultés de la personne et à trouver des pistes efficaces et diversifiées. De même, les recherches portant sur les psychothérapies positives ont mis en évidence l'utilité de commencer par un travail sur les dimensions positives de l'individu dans le but d'aborder ensuite les problématiques avec plus de pertinence et d'efficacité. La gratitude apparaît donc comme une attitude essentielle à cultiver à la fois chez les professionnels et chez les personnes accompagnées.
Rébecca SHANKLAND est maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie à l'Université Pierre Mendès-France (Grenoble). Elle est aussi psychologue clinicienne, spécialisée dans le domaine des addictions et de l'éducation pour la santé. Elle a publié chez Dunod, en 2014, "la psychologie positive", un ouvrage scientifique et clinique qui constitue une très belle synthèse de cette approche en plein essor.
10h00 11h00 (Conférences au choix)
JEAN-CLAUDE MÉTRAUX
Pour une thérapeutique de la reconnaissance
De très nombreuses personnes qui nous consultent souffrent de "maladies de la reconnaissance" : personnes en situations précaires, migrants (dont les victimes de conflits armés, tortures et viols), membres de couple se déchirant pour la garde d'un enfant, etc. Seule une "thérapeutique de la reconnaissance" permettrait qu'elles retrouvent une place dans notre monde. Les fondements d'une telle thérapeutique, inspirés entre autres par les écrits de Ricoeur et Honneth, seront détaillés et des exemples pratiques et cliniques seront proposés. Le problème, cependant, dans l'application d'une telle thérapeutique de la reconnaissance, réside dans les "maladies de la reconnaissance" dont nous souffrons nousmêmes, thérapeutes et intervenants sociaux. Comment dès lors nous "soigner"?
Jean-Claude MÉTRAUX est psychiatre et psychothérapeute de l'enfant et de l'adolescent, auteur de "Deuils collectifs et création sociale" et, plus récemment, "La migration comme métaphore" (la Dispute, 2011). Engagé auprès des victimes de conflits armés, puis des migrants, il a constamment conçu son activité professionnelle comme un lieu de création politique. En tant que pédopsychiatre, ce sont les familles vivant dans la grande précarité qui l'ont mobilisé tout au long de sa carrière.
ou
FAMILLES PAUVRES : SOUTENIR LE LIEN DANS LA SÉPARATION
Suivi d'une rencontre avec Carine BAWIR, Virginie DEGEY, Delphine NOËL et Caroline SALINGROS
La conjoncture actuelle fait rejaillir, avec une violence particulière, l'idée que le lien de l'enfant (en situation de placement) avec la famille d'origine pourrait être questionné, voire découragé. Du point de vue des plus pauvres, cette orientation, qui a déjà engagé de grandes résistances dans l'histoire, mérite une mobilisation particulière. Les associations ATD Quart-monde et Luttes Solidarités Travail (LST), qui permettent aux plus pauvres de construire une parole collective, enracinée dans leur résistance quotidienne à la misère, ont interpellé Madame Huytebroeck, Ministre de l'Aide à la Jeunesse en Communauté Française, à l'époque. Elle a initié une recherche sur l'évaluation du maintien du lien entre parents et familiers en situation de grande pauvreté et enfants placés en institution de l'Aide à la Jeunesse ou en famille d'accueil. Le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale a été chargé d'organiser cette réflexion. Cette recherche, enracinée dans la méthode de dialogue, garantit une manière toute particulière d'évaluer le maintien du lien, dans une reconnaissance de l'apport intéressant de chaque partenaire. Une concertation de plusieurs mois à laquelle ont participé des professionnels de l'administration et de divers services publics et privés de l'aide à la jeunesse, en dialogue avec des militants d'associations de lutte contre la pauvreté. Les actes de la recherche ont été publiés en 2013 : "Familles pauvres : soutenir le lien dans la séparation". Ils constituent un état des lieux d'un chantier à peine commencé, d'une part sur le droit fondamental de la reconnaissance du droit de l'enfant, et d'autre part sur le fossé entre les objectifs et la pratique des professionnels et les réalités vécues par les familles Pour diffuser plus largement les résultats de la recherche, et promouvoir la réflexion, un montage vidéo a été réalisé. Le film, terminé en 2015, vise à susciter une connaissance plus pertinente des points de vue légitimes autant des familles pauvres que des professionnels, pour un dialogue et une reconnaissance nouvelle de chacun.
Le film sera suivi d'une rencontre et d'un échange avec quatre représentantes du groupe porteur de ce projet :
Carine BAWIR, militante du Mouvement ATD Quart Monde
Virginie DEGEY, déléguée dans un Service de Protection de la Jeunesse
Delphine NOËL militante du Mouvement Luttes Solidarités Travail
Caroline SALINGROS, directrice pédagogique d'une institution de placement.
11h00 Pause café
11h30 12h30
MICHELA MARZANO
Promesse d'amour, reconnaissance et respect de l'altérité
Lorsqu'on parle d'amour, il est toujours question d'altérité et de tolérance. Aimer signifie tout d'abord reconnaître et accepter la différence. Renoncer au contrôle. Supporter. Que l'autre soit distrait, n'écoute pas, s'en aille parfois en claquant la porte. Que l'autre soit justement "autre" par rapport à nos attentes. Certes, l'altérité est toujours synonyme d'étrangeté, l'élément perturbateur freudien, ce quelque chose qui est "autre", pas seulement par rapport à ce que nous voudrions que l'autre soit, mais aussi par rapport à ce que nous sommes nous-mêmes. Mais c'est justement cette reconnaissance de l'altérité qui permet par la suite à chacun d'être libre d'être soi-même, sans que l'autre nous demande de changer, d'être différent ou de faire des efforts pour mériter son amour.
Michela MARZANO est professeur de philosophie à l'université Paris Descartes. Engagée politiquement au sein de la gauche italienne, elle est députée au parlement italien depuis février 2013. Elle travaille dans le domaine de la philosophie morale et politique et s'intéresse en particulier à la place qu'occupe aujourd'hui l'être humain, en tant qu'être charnel. L'analyse de la fragilité de la condition humaine représente pour elle le point de départ de ses recherches et de ses réflexions philosophiques. Elle est l'auteur de nombreux ouvrages dont, "Penser le corps" (PUF, 2002), «Alice au pays du porno" (avec Claude Rozier, Ramsay, 2005), "Extension du domaine de la manipulation", (Grasset, 2008). Dans son ouvrage "Légère comme un papillon", elle aborde son anorexie et révèle avec profondeur une partie de son autobiographie. Son dernier livre, "Tout ce que je sais de l'amour" revisite le lien amoureux de façon personnelle en touchant à l'universel.
14h00 15h00
BÉATRICE EDREI ET ISABELLE GERNET
Travail de soin et psychodynamique de la reconnaissance
Les enseignements de la psychodynamique du travail nous révèlent que pour bien travailler il faut accepter de mobiliser une subjectivité toute entière au service d'un réel qui se présente très souvent comme une mise en échec des savoir-faire conventionnels. Le travail est donc par essence vivant car il nécessite cette mobilisation subjective qui va au-delà de la prescription, qui la triche, la subvertit et qui permet de faire preuve d'inventivité et de ruse pour s'éprouver soimême dans la confrontation à la tâche. La relation d'aide et le travail de soin nécessitent, plus encore que tout autre activité peut-être, un registre d'habiletés issues d'un engagement du corps et d'une connaissance "par corps" qui permettent le déploiement d'une intelligence sensible au service d'une familiarisation progressive avec la situation. La relation d'aide relève de savoir-faire discrets qui tiennent souvent leur efficacité de leur invisibilité. Cela rend ce travail particulièrement inestimable au regard des logiques de gestion mais aussi particulièrement vulnérable du point de vue de la reconnaissance. La reconnaissance qui nous intéresse ici est celle qui permet de transformer la souffrance inhérente à toute confrontation au réel du travail en plaisir. Elle est la condition fondamentale d'une mobilisation subjective continue des travailleurs. La psychodynamique de la reconnaissance est alors un processus complexe et exigeant qui s'oppose au déni et qui n'a d'efficacité qu'indexée à la rigueur de ses jugements.
Isabelle GERNET est psychologue clinicienne, Maître de conférences en Psychologie Clinique à Paris Descartes. Ses travaux de recherche s'inscrivent dans le champ de la psychosomatique d'une part, de la psychopathologie et de la psychodynamique du travail d'autre part. Ses travaux en cours visent plus spécifiquement à analyser le rôle de la mobilisation du corps dans le travail de soin. Béatrice EDREI est psychologue clinicienne, psychothérapeute, membre associée de l'équipe de recherche en psychodynamique du travail dirigée par le Pr. Christophe Dejours. Elle coordonne un dispositif clinique régional de prévention de la souffrance en lien avec le travail. Ses travaux visent à analyser les processus en jeu dans les décompensations psychiques au coeur des nouvelles organisations du travail.
15h00 16h00
DIDIER ROBIN
Quelles prises en compte de l'estime de soi et de la reconnaissance dans le
travail en équipe et les pratiques de réseaux ?
Du risque de la violence à la possibilité de la coopération
Freud a défi ni "le sentiment d'estime de soi" comme un alliage de trois parties que l'on peut traduire de la sorte : la première renvoie à la possibilité (ou pas) de faire sien une certaine sécurité de base. La deuxième concerne notre capacité à intégrer des idéaux et à essayer de les accomplir. La troisième est constituée par la qualité actuelle des relations avec notre entourage. Sur beaucoup de points, cela rejoint les réfl exions d'Axel Honneth à propos de la "reconnaissance". En s'appuyant sur ses travaux qui articulent la théorie de l'attachement avec d'autres avancées de la psychanalyse, Didier Robin défendra l'idée que veiller, pour chacun des acteurs institutionnels, au respect et à l'enrichissement de l'estime de soi est une des conditions fondamentales (condition de base même) de la reconnaissance mutuelle qui va permettre une coopération effi cace. A contrario, les violences symboliques (mépris, disqualifi cations, moralisations persécutrices, rejets et exclusions, etc.) sont toujours des atteintes et à la reconnaissance et à l'estime de soi ; elles peuvent vite devenir des embrayeurs de violences physiques, de maltraitances institutionnelles. C'est particulièrement vrai dans le monde du travail et, peut-être encore de manière plus sensible, dans l'univers des "métiers de la relation". Le défi est alors de comprendre les ressorts de ces violences pour réussir à les arrêter ou à les éviter. Ce qui peut paraître encore assez abstrait dans ce résumé sera illustré par le plus concret des pratiques quotidiennes.
Didier ROBIN est psychologue, psychanalyste et systémicien. Il est superviseur d'équipes et formateur, membre du Groupe "Institutions" (Bruxelles, Centre Chapelle-aux-Champs en lien avec l'UCL, Université catholique de Louvain), co-responsable d'un programme de journées d'étude et de formation aux pratiques institutionnelles (Bruxelles, Centre Le Méridien, l'UCL et l'USL) et formateur pour la LBFSM (Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale). Il est aussi l'auteur notamment de "Violence de l'insécurité", Paris, PUF, 2010 et de "Dépasser les souffrances institutionnelles", Paris, PUF, 2013.
16h00 Pause
16h30
Clôture SURPRISE - à suivre !
17h30 Fin